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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:10

 

« Je peux prévoir le mouvement des corps célestes,

 mais pas la folie des gens. »

Isaac Newton

 

9

 

Attendez-vous à savoir que

les krachs boursiers ne servent pas beaucoup de leçon !

 

Nous avons vu précédemment que l’économie était un phénomène très complexe dont la bourse n’était qu’un outil. Les économistes et les hommes politiques qui les soutenaient ont toujours minimisé les risques. Cependant, l’histoire est jalonnée de krachs boursiers dont les effets économiques et sociaux ont été désastreux. Les krachs boursiers ne sont en effet pas l’apanage de notre économie actuelle. Dans le passé, il y a eu de grands effondrements de systèmes bancaires. En voici une liste assez exhaustive. Nous essayerons d’en chercher les éléments communs à partir des analyses qui en ont été faites par les spécialistes et nous chercherons à voir si des enseignements en ont été tirés et surtout appliqués pour en éviter de nouveaux…

 

Chronologie des krachs boursiers

 

La Tulipomania de 1637

 

Sornette dans son livre consacré aux grands krachs boursiers[1], évoque la première crise financière de l’histoire, celle de la spéculation sur les bulbes de tulipes, la Tulipomania[2], comme l’appela Charles Mackay au XIXe siècle. La crise intervînt le 4 février 1637. La guerre entre les Habsbourg d’Espagne et les Provinces-Unies (Pays-Bas) entraînèrent le blocage du port d’Anvers, ce qui détourna le commerce vers Amsterdam et Rotterdam. Ogier Guislain de Busbecq, Ambassadeur du Saint Empire romain à Istanbul, aurait rapporté de la cour du Sultan Ottoman Soliman le Magnifique, des bulbes de tulipes. Il les confia à des horticulteurs en 1559. Carolus Clusius vulgarisa en Europe cette fleur originaire du Pamir. Une véritable tulipomania s’empara de la Hollande. Les prix des bulbes augmentèrent selon une courbe exponentielle (Fig. 14) atteignant des prix incroyables. Ils se vendirent à l’unité, en échange par exemple, d’un terrain constructible de 12 ares, d’un carrosse et de son équipage, pour le prix de deux maisons, jusqu’à 5.500 et 10.000 guilders (florins)[3] et même atteignirent quatre fois le prix du tableau de « La ronde » de Rembrandt ! Cette folie tulipière s’acheva en février 1637 par un krach. Il aurait été causé par plusieurs facteurs concomitants. En premier, l’achat à terme (achat en hiver, paiement au printemps), mais aussi par l’absence de garanties, l’arrivée de spéculateurs qui élargirent le marché, la création de bourses de commerce où se négociaient les contrats à terme, l’investissement de particuliers non initiés qui ruinèrent le marché par leur manque de compétences. Mais serait aussi en cause, semble-t-il, le pamphlet d’un certain Adriaen Roman qui aurait semé la panique chez les acheteurs. Ceux-ci, de peur de tout perdre, auraient bradé leurs tulipes. Toujours est-il, qu’en trois jours le prix chuta de 95%. La leçon à retenir est que c’est l’intervention de spéculateurs qui a faussé le marché et la perte brutale de la confiance des investisseurs qui s’est transformée en panique.

 

 

Fig. 14. Les variations de l’index du prix des tulipes entre novembre 1636 et le 1er mai 1637 (d’après une compilation de Earl A. Thompson, 2007[4])

 

Le krach de la Compagnie des Mers du Sud de 1720

 

Citons aussi le krach, en septembre 1720, de la Compagnie des Mers du Sud en Angleterre, fondée en 1711 par Robert Harley, le chef du parti Tory, qui avait obtenu le monopole du commerce maritime avec les colonies espagnoles en Amérique du Sud. Ce krach faisait suite à la bulle des Mers du Sud entre 1711 et 1720. Pour obtenir ce monopole, la Compagnie avait accepté d’échanger dix millions de livres en bons du Trésor contre des actions à intérêt de 6%. Mais, les tensions entre l’Angleterre et l’Espagne en 1718 se sont accrues et ont diminué les bénéfices. Malgré tout, la Compagnie espérait faire des profits à long terme. Et, en 1717, elle avait accepté d’échanger encore deux millions de livres de la dette publique contre des titres. Des rumeurs sur les profits potentiels de la Compagnie déclenchèrent une spéculation qui fit monter le cours de l’action régulièrement avec l’aval de personnalités du gouvernement et de la royauté. Mais, d’autres Compagnies se mirent frauduleusement dans le circuit pour exploiter d’autres lignes commerciales, qui ont été rapidement surnommées des « bulles ». Devant le danger, une loi sur les bulles en 1720 fut votée qui imposait l’obtention d’une Charte royale que la Compagnie obtînt facilement pour toute l’Amérique. L’acquisition de cette charte augmenta son attrait et fit monter le cours de l’action à 1 000 livres. Mais, brutalement le cours se renversa et retomba à 150 livres, ce qui causa la faillite de nombreux investisseurs qui avaient acheté à crédit et, par effet domino, les banques prêteuses.

Parmi les personnalités ruinées citons le physicien Isaac Newton, Maître de la monnaie à Londres, qui perdit 20.000 livres et déclara : « Je peux prévoir le mouvement des corps célestes, mais pas la folie des gens. »,  l’écrivain Jonathan Swift qui perdit 1.000 livres et également Daniel Defoe. Il en est résulté le Bubble Act voté par le Parlement en 1720 pour guider les placements vers des investissements moins risqués et redonner confiance aux investisseurs.

 

La crise de 1857

 

En 1857, aux Etats-Unis et en France, eu lieu une grande crise financière qui fut étudiée en 1872 par Karl Marx[5] en Angleterre. Une panique s’est emparée de Wall Street[6], le 22 août 1857 comme conséquence de la faillite de la banque Ohio Life and Insurance Company. En fait, depuis 1856, on avait observé un ralentissement dans l’expansion du réseau ferroviaire de 20 à 30%; ce qui avait entraîné une perte de confiance dans les compagnies de chemin de fer avec pour conséquence une baisse dans l’exploitation métallurgique. Cette panique populaire fut assez courte, mais n’empêcha pas d’avoir de conséquences économiques désastreuses avec une hausse du chômage (2/3 des ouvriers des Etats manufacturiers du Nord). De nombreux chômeurs s’engagèrent dans la fameuse ruée vers l’or en 1858 et 1859, du Colorado à la Colombie britannique et au Montana.

En Europe, la crise intervînt pour d’autres motifs, celui d’une surproduction résultant de bonnes récoltes qui ont fait chuter le prix du blé stocké en plus grands tonnages afin de maintenir les prix assez élevés. L’Europe était devenue autosuffisante privant les producteurs et exportateurs de débouchés. Les exportateurs se reportèrent sur l’or et la bourse connut une forte baisse de 27% entre juin et le 20 novembre 1857 qui entraîna une récession économique. Ce fut le début de la crise économique du Second Empire avec un chômage accru de 7%, malgré des mesures salutaires prises par Napoléon III, en doublant notamment le capital social de la Banque de France[7].

Vers 1865 apparurent des crises économiques d’un type nouveau résultant de la structure libérale de la société, née de la révolution industrielle anglaise.

 

Le krach des bourses viennoise et berlinoise de 1873

 

L’Unification allemande de 1871 eut comme conséquence un grand développement économique et l’instauration de la concurrence qui entraînèrent la baisse des actions en juillet 1873. Comme une banque de Budapest, puis celles de Vienne, ne purent faire face à leurs remboursements, les épargnants perdirent la confiance et retirèrent leurs actifs, ce qui entraîna une crise qui se propagea à Berlin, dans le reste de l’Europe et même jusqu’aux Etats-Unis. La crise financière se transforma ensuite en crise économique.

 

Le krach de l’Union Générale de Lyon en 1882

 

Ce krach concerne une banque française catholique et monarchique soutenue par le prétendant au trône de France, le comte de Chambord, et le cardinal Jacobini, secrétaire du pape. Forte de ses succès, elle fit des achats risqués en Europe centrale, comme les chemins de fer de Serbie et des sociétés d’assurance. Elle créa la Société lyonnaise des eaux et investit en Afrique du Nord et en Egypte. Spéculant à la bourse sur les valeurs surcapitalisées, elle fût en lutte politico-religio-financière avec la banque Rothschild jusqu’en janvier 1882 où intervient son krach[8]. Elle entraîna misères, chômage  et conflits sociaux dont les plus célèbres sont ceux des grandes grèves des mineurs d’Anzin et de Decazeville en 1884 dont Emile Zola s’est inspiré pour son roman Germinal[9], tandis qu’il a retracé l’histoire de l’Union Générale dans son autre roman L’argent[10] situé sous le Second Empire. L’Union Générale a été considérée comme assassinée par la banque Rothschild et c’est pourquoi ce krach entretînt l’antisémitisme de l’extrême droite française.

 

La panique bancaire américaine de 1907

 

Une panique des banquiers américains éclata en octobre 1907, suite à la perte de confiance des investisseurs new-yorkais, qui retirèrent leur fonds des banques et entraînèrent la chute de la société fiduciaire Knickerbocker Trust. Ce krach se répercuta à travers tout le pays. Les banques furent sauvées par le financier J.P. Morgan qui, avec d’autres banquiers, injectèrent leurs fonds propres. Cette crise aboutit à la création de la Réserve fédérale des Etats Unis, chargée de réinjecter des liquidités en cas de problème majeur.

 

Le Jeudi noir de Wall Street en 1929

 

La plus connue des crises, restée dans toutes les mémoires, est le grand krach de Wall Street entre le jeudi noir du 24 octobre et le mardi noir 29 octobre 1929 où la bourse a perdu 25%, chute qui va se poursuivre jusqu’en 1932 où elle a perdu 89%. Considérée comme la plus grande crise économique du XXe siècle, elle entraîna dès 1931 La grande dépression qui mit 13 millions d’américains au chômage et 25% de la population allemande. Un résultat qui servit de terrain aux thèses nationalistes fascistes en Allemagne et entraînera en partie la Seconde Guerre mondiale.

Quelles sont les causes de ce krach ? Il est dû à une bulle spéculative qui a commencé en 1926 avec l’autorisation d’ouvrir à Wall Street un nouveau système d’achat d’actions à crédit, même avec une couverture financière de seulement 10% ! De ce fait les cours de la bourse doublent entre 1926 et 1929 et la spéculation devient totalement irrationnelle dès 1927, malgré l’effort de la FED de réduire ses taux d’escompte. L’Amérique produisant toujours plus, bien plus que la demande, cette surproduction a comme conséquence des diminutions de bénéfices qui entraînent les investisseurs à revendre leurs actions. La reprise eut lieu à partir de 1933, mais avec une rechute en 1937. L’entrée en guerre marqua la fin de la crise, mais il fallut attendre 1954 pour que la Bourse retrouve son niveau de 1928.

 

Le krach de 1987

 

Rappelons le krach spectaculaire de Wall Street et des autres banques du monde du 19 octobre 1987, qui causa une perte brutale de l’indice Dow Jones Industrial Average (DJIA) de la Bourse de New York de 22,6 %. Plusieurs centaines de milliards de dollars disparurent en quelques heures et des milliers d’investisseurs furent ruinés… Cette crise a été fort bien analysée. On sait qu’elle résulte d’un excès de crédit qui entraîne une hausse de l’indice Dow Jones de 43,6% en 9 mois. Or le lundi 19 octobre, la bourse perd 22,8% à cause de deux statistiques annoncées, un déficit commercial US inattendu prouvant que les Etats-Unis vivaient bien au-dessus de leurs moyens et un relèvement du taux d’intérêt de la Banque allemande (Bundesbank) pour éviter la surchauffe. C’est alors la panique qui s’enclenche et le krach brutal.

 

Le krach russe de 1990

 

Lors de la révolution russe de 1990, en l’absence de bourses, les avoirs des salariés russes à la Caisse nationale d’épargne (Sberbank), étaient énormes. En l’absence de produits à acheter dans les magasins vides, il se produisit une bulle de la quantité de roubles disponibles, qui au moment du passage à l‘économie de marché se sont révélés pratiquement sans valeur, d’où le krach.

 

Le krach immobilier parisien de 1991

 

Alors que les prix des logements en France avaient fait preuve d’une bonne stabilité par rapport aux revenus par ménage depuis 1965, la région parisienne et la Côte d’Azur firent exception en 1988, atteignant des valeurs de plus de 50% au-dessus de la tendance nationale. Entretenu par les marchands de biens, ce boom, sans aucune relation avec la croissance économique, fut suivi d’une correction majeure, où les prix baissèrent brutalement de 30 à 40% jusqu’en 1997 ; c’est le krach immobilier de 1991.

Une nouvelle bulle spéculative sur l’immobilier a eu lieu entre 1997 et 2007 atteignant en 2011, un niveau supérieur de 70% à la tendance historique par rapport au revenu par ménage. Les prix de l’immobilier en février 2010 étaient selon Natixisau moins surestimés de 10 à 15%. Les spécialistes envisagent deux possibilités, soit une baisse de 35% en 5 à 8 ans, soit une stagnation des prix pendant 15 à 20 ans. En outre, l’endettement des Français s’est accru passant de 50% du revenu disponible en 1998 à plus de 70% actuellement, ce qui est très risqué.

 

Le krach asiatique de 1998

 

Une crise économique du Sud-est asiatique a commencé dès juillet 1997. Elle s’est propagée aux pays en voie d’émergence, Russie, Argentine et Brésil. Un surendettement, un déficit de la balance des paiements et des dettes extérieures énormes ont entraîné une crise monétaire qui s’est transmise très rapidement après la chute du baht thaïlandais, avec une dépréciation touchant toutes les monnaies asiatiques. Par exemple, la monnaie de Taïwan a perdu 45% de sa valeur en trois semaines. La Corée du Sud a subi une perte de compétitivité, mais a surmonté sa crise grâce à l’investissement de l’étranger et d’un prêt du FMI. Hong-Kong liée au dollar américain n’a pas dévalué. La Chine et le Vietnam n’ont pas été touchés par cette crise, en partie parce que la Chine avait dévalué sa monnaie fortement en 1994.

Les conséquences de cette crise ont été dramatiques, puisque 24 millions de personnes se sont retrouvées au chômage et que 20 millions se sont retrouvées pauvres, entraînant une hausse considérable de la prostitution infantile en Thaïlande. Cette crise se traduisit par une aggravation des inégalités, par des émeutes, des pillages et des suicides et par le rachat des entreprises publiques par le privé, ce qui correspond à la stratégie du choc de Friedman[11].

 

L’e-krach de 2000

 

Après l’euphorie des années 1995-2000, le e-krach de mars 2000 a résulté d’une bulle spéculative sur les valeurs technologiques de l’informatique et des télécommunications. Par exemple l’introduction de Netscapeen bourse, a fait monter l’indice NASDAQ de 1.000 à plus de 5.000 points en 5 ans. L’engouement a été tel que les grandes compagnies multinationales ont acheté des Start up[12] à des prix beaucoup trop élevés, car très surévalués. L’arrivée des  investisseurs et des capitaux a fabriqué une bulle qui a gonflé de plus en plus jusqu’au moment où les cours ss sont effondrés brutalement. Ces achats étaient accompagnés de distributions de stock-options qui encourageaient la création de nouvelles Start up et ont fait apparaître de nouveaux riches. La bulle éclate le 13 mars 2000, où le NASDAQ a perdu 10% en une journée. Les effets s’étendent jusqu’en 2003 à toutes les bourses du monde, faisant perdre à 4.300 entreprises tous les profits engrangés depuis 1995. Elles ont perdu plusieurs dizaines de milliards de dollars. Cela a entraîné des faillites, du chômage et a surtout incité certains PDG à surévaluer leurs résultats (scandales ENRON, WORLDCOMet de bien d’autres entreprises y compris de certaines sociétés françaises !). ENRON, l’une des plus grosses entreprises américaines de la bourse a un vaste domaine d’activités s’étendant du gaz à l’électricité. Le 2 décembre 2001, son action tombe à 1$ et 20.000 salariés sont mis au chômage et des milliers de petits épargnants sont ruinés. ENRON fit faillite parce qu’elle avait spéculé sur le marché de l’électricité et que ses pertes avaient été maquillées en bénéfices, grâce à la création de 3.000 sociétés offshores (îles Caïmans, Bermudes, Bahamas) et à l’utilisation de publicités mensongères annonçant une progression de l’action de 800%. Quant à WORLCOM, en 2002, elle avait déclaré 11 milliards de dollars de revenus fictifs, ce qui a conduit la société à la faillite avec 41 milliards de dettes et en 2005, son ancien président Bernard Ebbers en prison pour 25 ans…

 

 

La crise des sub-primes de l’immobilier américain en automne 2008

 

Il faut enfin ajouter la fameuse crise des subprimes (subprime mortgage) aux USA qui a eu, et aura encore pour de nombreuses années, des conséquences mondiales. Ce krach dû aux principes du crédit américain de l’immobilier a commencé le vendredi 10 août 2007, Les Américains ont en effet la possibilité d’emprunter plus que leurs revenus disponibles, donc plus qu’ils ne peuvent rembourser à des taux variables, faibles au début, mais qui peuvent augmenter de façon drastique.  La situation est très différente en France car les emprunts sont limités par le remboursement qui ne peut en principe pas dépasser 30% du traitement. Ce système est compensé aux USA par l’hypothèque sur l’achat, en fait des prêts hypothécaires à risques. Ce que Joseph Stiglitz[13] appelle des crédits menteursconsentis aux emprunteurs par les banques sur des dossiers du montant de leurs revenus falsifiés, quand ce ne sont pas les banques elles-mêmes qui les ont fabriqués ; ce qui engage hautement leur responsabilité. Par exemple, si l’emprunteur ne peut rembourser le crédit de sa maison, la banque saisit la maison et la revend, faisant double bénéfice, sur le prêt et sur la plus-value acquise par la maison pendant les années du prêt. C’est le système des sub-primes qui n’existe fort heureusement pas en France. C’est ainsi que plus de 3 millions d’Américains se sont trouvés ruinés. En effet, les banques n’avaient pas toujours suffisamment d’argent pour subventionner ce prêt. Aussi ont-elles à leur tour emprunté, d’une part à un taux plus faible que celui qu’elles proposaient à leurs clients, auprès de ce que l’on appelle un refinanceur (généralement une autre banque) et d’autre part, elles ont titrisé de façon complexe, des milliers de contrats de prêts qu’elles ont revendus à d’autres banques, qui les ont achetés car ils rapportaient des taux supérieurs à la moyenne et ne présentaient apparemment pas de risques majeurs, compte tenu des volumes incriminés. Mais, lorsque la banque doit rembourser le refinanceur, il arrive que la vente de la maison ne suffise pas car, en raison du grand nombre de maisons en vente, les prix de l’immobilier ont chuté. Les marchés ont alors baissé fortement et les banques qui ont acheté des titres ont été obligées d’assumer ces pertes sur leurs réserves. Ce qui a pour effet d’affecter tout le système financier à travers le monde, car de nombreuses banques ont acheté des titres, espérant faire d’excellents bénéfices, mais auraient coulé si les Etats ne les avaient pas subventionnées. Il faut dire qu’Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale américaine, avait tout fait pour décourager l’épargne en optant pour une politique de taux bas pour favoriser les achats à crédit, notamment des logements.

Le marché avait montré des signes évidents de faiblesse dès le mois de février, avec un recul des prix de l’immobilier et les avertissements d’Alan Greenspan qui avait perçu les dangers de sa politique. Le 15 décembre, on annonce la faillite de la banque Lehman Brothers qui entraîne dans sa chute toutes les bourses du monde. Après des tergiversations du Plan Henry Paulson de sauvetage des banques (700 milliards de dollars en prenant une prise de capital), notamment du leader de l’assurance AIG(American International Group) et une remontée provisoire des bourses (+ 9,27% à Paris le 27 septembre), le vrai krach commença le 6 octobre, un lundi noir, avec des chutes énormes des bourses, en une semaine, -21% du Dow Jones à New York, -22% pour le CAC 40 en France et -24% du Nikkei à Tokyo. En fin de compte, les banques d’investissements qui spéculent en bourse ont été renflouées aux frais des contribuables, à la hauteur de 180 milliards de dollars !

 

Une gestion mondiale à coup de déficits publics qui aboutit au krach d’août 2011…

 

La dette américaine

Cette évolution qui a été mise en évidence par les dernières crises, est la conséquence du fait que depuis des années, les pays occidentaux et en premier les Etats-Unis, vivent au-dessus de leurs moyens. Ils ont emprunté aux banques à des taux faibles qui leur assuraient des bénéfices garantis sur de nombreuses années. La dette abyssale des USA s’élevait le 2 août 2011 à 14.300 milliards de dollars. Cette dette a commencé en 1982 avec Reagan qui, pour développer ses moyens de défense de la guerre des étoiles et la réduction des impôts des plus riches a fait monter le déficit de 1.000 milliards de dollars. Le déficit s’est ensuite accentué entre 1989-1993, avec la première guerre du Golfe de Georges Bush jusqu’à 4.000 milliards de $, puis entre 1993-2001 il a plafonné à 5.000 milliards de $ à cause des intérêts des déficits précédents. De 2001 à 2009, les réductions d’impôts, les guerres en Afghanistan (2001) et Irak (2003) et la récession de 2008 ont fait monter ce déficit à 10.000 milliards de dollars. Enfin, de 2008 à 2011, cette dette a franchi le cap des 15.000 milliards de dollars[14] (99% du PIB) ! (Fig. 15).

Le Président Obama a obtenu de la Chambre et du Congrès, le 2 août 2011, un relèvement du plafond de la dette de 2.100 milliards de dollars en regard d’une réduction massive des dépenses publiques de 900 à 1.000 milliards de dollars, plus 1.500 milliards de dollars encore à négocier. En fait, les Républicains qui ne voulaient pas augmenter les impôts, alors qu’Obama voulait seulement les augmenter de 2%, ont fait traîner les négociations pendant plus de trois semaines et ont obtenu de réduire l’assurance-santé des retraités et des nécessiteux (Medicare) de 4%. Le coup de semonce d’août 2011 aux Etats-Unis a permis d’éviter la faillite immédiate des USA. Mais cela n’a pas empêché l’agence de notation Standard & Poor’s d’abaisser la notation de l’économie américaine de AAA à AA+. Cette dégradation de la notation a entraîné la perte de confiance des investisseurs.

 

 

Fig. 15. La dette publique américaine. Le déficit américain a commencé sous D. Reagan avec sa guerre des étoiles, puis s‘est accentué sous G. Bush avec sa 1ère guerre du Golfe. B. Clinton a poursuivi les dépenses engagées. Avec G.W. Bush, le déficit double avec la guerre en Afghanistan et en Irak, atteignant les 10 000 milliards de dollars. B. Obama accroît encore le déficit pour subventionner son plan de relance, les baisses d’impôts, les effets de la récession, les dépenses de santé et des retraites de l’Etat (Dept. Du Trésor, Bureau of the Public Debt., Banque Fédérale de New York, Office of Management and Budget).

 

Les dettes européennes

 

La perte de confiance envers l’Amérique s’est étendue ensuite aux capacités des Européens de réduire leurs propres déficits et de redresser leurs budgets par des économies drastiques. On peut d’ailleurs se demander si cette attaque contre l’Europe des agences de notation n’ont pas pour but de détourner l’attention des investisseurs vers l’Europe afin de la dégrader, alors que la situation des USA est beaucoup plus grave. Malgré leur dégradation rappelons que les USA empruntent à des taux très faibles. La plupart des pays européens ont vécu aussi au-dessus de leurs moyens, malgré les recommandations de la Commission européenne de ne pas avoir de déficits supérieurs à 3%. Les dettes publiques (Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale) ont atteint des sommets. Citons les déficits de quelques pays européens (en milliards d’euros, avec le % du PIB[15]), au 9 novembre 2011, sachant que la dette ne doit pas dépasser 60% du PIB pour ne pas compromettre sa croissance : Allemagne (2079 ; 81,1%) ; France (1706 ; 85%) ; Italie (1900 ; 120%) ; Grèce (350 ; 158%) ; Irlande (114%) ; Portugal (102%) ; Belgique (97%) ; Espagne (68%). Il faut y ajouter la Grande-Bretagne qui est la plus endettée, à l’exception des USA, avec une dette pratiquement identique à celle de la France et qui représente 94,8% du PIB ; mais avec des taux d’emprunts inférieurs à ceux de l’Allemagne !

L’élargissement trop rapide de la zone euro à 17 depuis 1999, et de l’Europe des six en 1957 à 27 pays membres lors du Traité de Nice de 2001, entré en vigueur en février 2003, sans attendre qu’ils aient atteint le même niveau économique et social, ni le même type de gestion financière, n’a pas été une réussite. Rappelons que le critère d’entrée se borne à respecter les critères de Copenhague[16], c’est-à-dire les principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit. Certains pays qui ont adhéré n’étaient motivés que par l’apport des subventions européennes sans avoir l’état d’esprit communautaire, ni solidaire. En outre, certains pays, comme la Grèce, ont présenté des comptes falsifiés pour entrer dans la zone euro. La possible entrée de 7 nouveaux autres candidats semble prématurée, compte tenu de la conjoncture économique actuelle.

 

La dette de la France et la réforme de la banque de France de 1973. La dette de la France qui était en 1978 de 72,8 milliards d’euros (21, 2% du PIB) passera donc en 2011, selon les prévisions de l’INSEE, à environ 1800 milliards, soit 84,5% du PIB[17] (Fig. 16). On doit tout d’abord se poser la question de savoir d’où vient cette dette ? On dit que les Etats ont vécu et vivent au-dessus de leurs moyens. C’est vrai, mais ce n’est pas la cause majeure. En effet pour dépenser, il faut disposer de recettes. Or les dépenses publiques ont baisé entre 1996 et 2011, mais ce sont les recettes qui ont baissé, en grande partie à cause des allègements d’impôts accordés aux grandes sociétés (réduction de l’impôt sur les sociétés de 50 à 34,43%) et aux plus grandes fortunes avec en plus les 486 niches fiscales. Autrement dit, ce sont des pertes de recettes non compensées qui accroissent la dette avec les intérêts. Quelques données ne sont pas sans intérêt.

La dette a commencé sous Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre, s’est accentuée sous le président François Mitterrand avec successivement Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Jacques Chirac, Michel Roccard, Edith Cresson, Pierre Beregovoy comme premiers ministres, les deux derniers ayant fait croître fortement cette dette. Mais c’est sous le gouvernement de Balladur qu’elle a poursuivi sa forte grimpée, un peu atténuée avec Alain Juppé. Le premier qui a réussi à faire baisser la dette est Lionel Jospin, puis la dette est remontée avec Jean-Pierre Raffarin sous la présidence de Jacques Chirac. Il faut remarquer que Dominique de Villepin a fait baisser le déficit et l’a stabilisé, mais la dette s’est ré-envolée avec l’élection de Nicolas Sarkosy jusqu’à atteindre 1692,7 milliards en juin 2011 (données INSEE), soit une progression de 504 milliards d’euros (+30%) !

Aujourd’hui le service de la dette française est devenu le premier poste budgétaire devant l’Education et la Défense avec 46,9 milliards. Chaque seconde la dette augmente de 5.500 € et par jour l’Etat doit emprunter 130 millions d’euros pour payer simplement les intérêts. Il faut dire que l’Etat ne peut plus emprunter auprès de la Banque de France, dont le capital appartient pourtant à l’Etat, comme cela se faisait avant le 3 janvier 1973[18], date à laquelle la Banque de France a perdu l’autorisation de prêter à l’Etat, sous le prétexte de crainte de l‘inflation résultant de l’émission de monnaie (art. 25. Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France). Cette loi, promulguée par Georges Pompidou, interdit donc à la France d’emprunter à la banque de France (sans intérêt) et lui impose d’emprunter chez les banques privées à des taux d’intérêts plus élevés ! C’est un ‘véritable endettement volontaire’ auprès des banques privées. Cela veut dire que Georges Pompidou, au service de la banque Rothschild de 1959 à 1962, puis Directeur général de cette banque de 1953 à 1958 tout en étant d’ailleurs au Conseil constitutionnel (conflit d’intérêt ?), a fait un superbe cadeau aux banques ; un modèle qui a été vite suivi par les autres Etats européens. La France s’est enlevé un moyen de gérer une partie de sa dette à moindre coût. Cette loi est l’une des plus destructrices de la France, car c’est elle qui est responsable de la somme astronomique atteinte par la dette actuelle essentiellement due aux intérêts. Et qui en bénéficie ? les banques prêteuses qui s’enrichissent sur le dos de la nation. Sans ces intérêts, la dette de la France serait très faible, de l’ordre de 164 milliards d’euros et de 9% du PIB ! Les banques font une véritable perfusion du budget de la France vers leurs caisses…

L’un des problèmes épineux de la situation actuelle réside dans le fait que les banques françaises[19] se sont exposées aux dettes souveraines qu’elles ont achetées, en espérant faire de gros bénéfices (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne), à la hauteur de 41,6 milliards d’euros, dont 30 milliards rien que pour l’Italie ! L’un des leviers utilisés prioritairement par les Etats pour réduire la dette est d’imposer des régimes de rigueur, c’est-à-dire de d’adopter les fameuses mesures du Consensus de Washington dont nous avons vu les effets désastreux avec par exemple les réformes des retraites de plus en plus contraignantes ; ce qui a été fait un peu partout en Europe et en France.

Mais il ne s’attaque pas à la cause, ponctionnant seulement un peu plus les classes populaires (50%) et moyennes (40%) de la population, mais sans affecter les classes aisées (10%) et très aisées (1%)…

 

La dette de la Grèce et du reste de l’Europe. L’Europe est en crise avec en première ligne la Grèce. Pourquoi ? Parce que les plus hauts revenus, par exemple ceux des armateurs, ne payent pas d’impôts car la Constitution interdit leurs vérifications fiscales. Pourquoi la Grèce ne taxe-t-elle pas les 200 milliards d’euros déposés dans les comptes suisses ? En outre l’absence de cadastre en Grèce a permis à plus d’un million de Grecs de construire des maisons superbes sans autorisation avec le résultat que leurs propriétaires ne payent aucun impôt sur ces habitations. De même, l’Eglise orthodoxe, premier propriétaire foncier de la Grèce, ne paye aucun impôt. La chasse aux fraudes fiscales est donc une priorité. Le nouveau gouvernement grec aura-t-il le courage de modifier le système ? Cette gestion peut conduire la Grèce vers la faillite, si elle n’arrive pas à endiguer le problème de sa dette, gigantesque pour elle à cause de la hauteur des intérêts. Car les solutions proposées par le gouvernement pour réduire le budget de façon drastique ont jusqu’ici touché en priorité les plus pauvres, les fonctionnaires et les retraités, ce qui a provoqué les violentes manifestations de 2011… L’Italie, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne ont les mêmes problèmes en attendant nôtre tour[20]

 

 

Fig. 16. Evolution de la dette publique française entre 1878 et 2011 en milliards d’euros et pourcentage du PIB (d’après les données de l’INSEE).

 

Toutes ces causes ont entraîné une défiance des investisseurs habitués à des placements très rémunérateurs qui s’est traduite par un vrai krach boursier qui a fait plonger toutes les bourses européennes. La bourse de Paris est passée du 1er juillet au 10 août 2001, de 4007,35 à 3002,99 points, soit une perte de 1.000 points sur 4.000, c’est-à-dire un plongeon de 25% en un mois ; c’est-à-dire un krach ! Jean Claude Trichet, le Directeur de la Banque européenne,déclarait le 9/8/2011 que c’était la crise la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ! Le 22 octobre 2011 il était annoncé qu’un pourcentage de 50 à 60% de la dette grecque passerait à la trappe. Qui payera ? En partie les banques qui devront utiliser leurs bénéfices au lieu de les distribuer aux actionnaires, mais qui seront renflouées en cas de besoin par l’Etat, donc par les contribuables des pays qui ont aidé la Grèce !

De telles gestions irresponsables sous le lobbying des puissances financières expriment leur mainmise sur l’économie et sur la politique, ou tout au moins leur connivence. On en voit l’effet avec le plan de rigueur français du 7 novembre 2011 qui se refuse à taxer les spéculations et les banques, tout comme le G20 l’avait décidé quelques jours plus tôt.

Il est en outre totalement surréaliste que, selon les notations des agences financières, les Etats soient obligés d’emprunter à des taux différents, les écarts mesurant la prime du risque du non remboursement des dettes. Plus la dette est grande, plus les taux d’emprunts sont élevés, ce qui augmente d’autant la dette ; un cercle infernal dont on ne peut pratiquement pas sortir. C’est logique d’un point de vue proprement financier, mais aberrant d’un point de vue solidarité humaine et européenne. En effet pour aider un  pays à sortir de l’ornière où il s’est mis, il lui faudrait obtenir les taux les plus bas, ce qui allégerait la dette et lui permettrait d’ailleurs de rembourser effectivement sa dette sur une durée assez longue. Le 10 novembre 2010, la France paye ses emprunts deux fois plus cher que l’Allemagne, l’Espagne emprunte à plus de 5%, l’Italie à plus de 7%, le Portugal à 6,9%, l’Irlande à 8,5% et la Grèce à 11,8%, alors qu’elle est quasiment ruinée. Dans le jargon financier, l’écart entre les taux d’intérêts versés pour remboursement de leurs dettes entre deux pays, appelé, le ’spread’. Et les taux vont s’envoler avec la baisse des notations jusqu’à un niveau totalement irréaliste, inacceptable. Une politique qui enfonce encore plus, les Etats très fragilisés…

 

Et que fait la Chine dans ce jeu ?

Deng Xiaoping qui a dirigé la Chine à partir de 1978 a réussi une véritable révolution en intégrant les règles capitalistes de l’économie de marché dans l'économie chinoise. Le résultat est là aujourd’hui pour constater qu’il lui a insufflé un dynamisme considérable tout en maintenant son système politiquement dictatorial. Il faut ajouter que la Chine a très habilement adopté de façon unilatérale en 1989 une stratégie de sous-évaluation du Yuan à 0,15 alors qu’il aurait dû valoir 0,25 $. Cette stratégie[21] n’a jamais été contrariée par les Occidentaux depuis l’admission de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Les pays occidentaux, notamment le Président Clinton, ont accepté l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC) lors de la Conférence ministérielle de Doha (Qatar) en novembre 2001. Cet accès qui était logique, mais sans lui imposer les règles en vigueur, des conventions de fixation des taux de change équilibrés entre les monnaies. Elle ne respecte pas les mêmes règles industrielles et sociales que l’Occident. L’OMC s est ainsi privé de la possibilité de représailles douanières en cas de dérapage. Cette politique de refus d’adapter sa politique de change, qui la favorise outrageusement, vient de déstabiliser l’Occident en 2011 sur le plan commercial et financier parce qu’elle n’est pas compensée par la croissance du PIB[22] en le conduisant en partie au krach d’août 2011. Elle serait responsable, selon le prix Nobel d’Economie Paul Krigman[23], du chômage de 1,4 millions d’Américains et de millions d’emplois perdus en Europe. Devenue par cette méthode la première exportatrice mondiale elle pourrait, en contrepartie, y perdre sur la part qu’elle possède de la dette américaine qui s’élève à 1.200 milliards de dollars. La décision de sous-évaluer le yuan correspond à la philosophie chinoise. Elle a été au départ une petite modification, qui n’a pas eu d’impact immédiat, mais se concrétise dans la durée, dans la continuation, par les conséquences considérables qu’elle engendre aujourd’hui, le recul des complexes économiques et financiers de l’Occident. Il faut savoir attendre le résultat d’une politique bien réfléchie qui ne nécessite aucun autre effort que celui de la patience ! Autrement dit la philosophie chinoise est une expression caricaturale du déroulement d’un phénomène critique, qui commence par une modification légère d’un paramètre qui se continue sans attirer particulièrement l’attention, jusqu’au moment où il se manifeste brusquement par une rupture qui change complètement la situation…

 

Les krachs boursiers ont-ils servi de leçon ?

 

De nombreux ouvrages sur les krachs boursiers ont été écrits par des spécialistes. Ils montrent que presque toujours les analyses des krachs boursiers et de leurs conséquences financières, sociales et humaines, n’ont généralement pas été prises en compte. Les krachs n’ont pas servi de leçon, puisque le même genre de spéculation est resté autorisé. En outre, ils ont toujours été minimisé par les responsables qui ne veulent absolument pas changer le système si rémunérateur.

L’un des enseignements des krachs est qu’au cours du temps l’ampleur des krachs a changé d’échelle ; une expression de la fractalité du phénomène. Les plus anciens krachs boursiers ont été limités à un pays particulier avec quelques extensions latérales de proximité, mais les krachs ont changé de dimension avec celui de 1929 qui a affecté tout le monde occidental. Ils sont ensuite devenus mondiaux, avec la mondialisation des échanges. Il y a donc une extension spatiale des krachs. En outre, concernant des espaces toujours plus grands, ils ont concerné aussi des sommes de plus en plus gigantesques avec des effets sociaux de plus en plus critiques. La crise de 1929 a aboutit à la montée des nationalismes et à la seconde guerre mondiale, mais elle est la seule, après cette guerre, qui a vraiment servi de leçon financière pour une trentaine d’années et dont les effets ont été très positifs.

 

De la séparation des banques de dépôts et d’investissements en 1933 à leur fusion en 1999

 

Nous avons vu qu’il existait deux types de banques. Il y d’une part les banques de dépôts qui gèrent les épargnes de la population (commercial banking). Il y a d’autre part l’autre les banques d’investissements ou d’affaires (investment banking) qui utilisent cet argent pour faire des investissements, parfois avisés, mais parfois risqués et spéculer.

Pour éviter les effets de la confusion entre ces deux types de banque le Congrès américain avait voté en 1933 le Glass-Steagall Act ou Banking Act. C’est une loi essentielle qui obligeaient les banques à choisir légalement entre la gestion des dépôts et les opérations d’investissements. Son abrogation, le 12 novembre 1999 par le Financial Services Modernization Act, connu aussi sous le nom de Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization, a été décidée pour permettre la constitution de banques universelles, notamment la fusion de Citibank et du Travelers Groupet constituer le gigantesque Citigroup, une entreprise mondiale qui a absorbé ultérieurement de nombreuses autres sociétés. Cette abrogation est l’une des causes majeures des turbulences financières actuelles, le Citygroup ayant perdu dans ce jeu, en 2008 et 2009, plusieurs dizaines de milliards de dollars et a annoncé en décembre 2011 la suppression de 4.200 postes ! Cette disposition a ouvert alors la concurrence entre les banques de dépôt, d’investissement et les compagnies d’assurances.

La crise de 1929 s’est traduite aussi et surtout par les Accords économiques de Bretton Woods.

 

Les Accords de Bretton Woods

 

Cette réunion à Bretton Woods, une petite ville du New Hampshire aux USA, dont les deux principaux protagonistes ont été John Maynard Keynes de la délégation britannique et Harry Dexter du Trésor des Etats-Unis, avait pour mission de constituer une organisation monétaire mondiale pour reconstruire et développer économiquement les pays détruits par la guerre de quarante. Elle a abouti après trois semaines de débats auxquels participaient 730 délégués de 44 nations, y compris un observateur soviétique, à un accord signé le 22 juillet 1944. Il instituait les grandes lignes du système financier international d’après la Seconde guerre mondiale, celle d’une organisation monétaire mondiale.

Cet accord affirmait la primauté du dollar et proposait de créer d’une part, le Fond monétaire international (FMI) parrainé par les USA et d’autre part, la Banque mondiale (BM) constitué de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l’Association internationale de développement (IDA). Ces organismes ont été complétés en 1955 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lors des accords du General Agreement on tarifs and trade (GATT) dans l’Accord de Marrakech, le 1e janvier 1995. Le but de ces trois institutions financières était de ne pas retomber dans les excès qui avaient mené au krach de 1929, mais aussi de contrôler l’économie mondiale et d’assurer la suprématie américaine.

Comme le retour à un étalon-or était impossible, les Etats-Unis ont créé le Gold-Exchange Standard basé sur le seul dollar, ce qui signifiait que toutes les monnaies étaient définies en dollars et que seul le dollar était défini en or, sur la base à l’époque de 35 $ l’once. Mais aucun contrôle n’avait été prévu à Bretton Woods sur la quantité de dollars émise par les Etats-Unis qui étaient censés respecter la valeur réelle de leur monnaie. Le FMI avait pour mission de surveiller les Etats et de les aider en liquidités en cas de crise de change pour éviter les dévaluations.

Or, jusqu’en 1958, les Etats-Unis, n’ont pas fait tourner la planche à dollars. Mais les guerres du Vietnam et la course à l’espace ont coûté si cher, qu’il y a eu une inflation de dollars et également une inflation de la part des Etats qui exportent le plus vers les USA. Ces Etats ont constitué des réserves énormes de dollars donnant lieu à une inflation de leurs propres monnaies. La convertibilité OR du dollar a été abandonnée en 1971, en raison du déséquilibre entre les réserves OR et la masse de dollars en circulation.

C’est ce régime économique, efficace et respecté, qui a servi de structure de fonctionnement pour la période qui va de 1945 à 1975, qualifiée de Trente Glorieuses pour le monde occidental ou « d’âge pas tout à fait d’or » par Reich.

C’est la République fédérale allemande qui a commencé à mettre fin aux Accords de Bretton Woods afin de ne pas subir d’inflation. De nombreux pays ont demandé le remboursement de leurs dollars en or, ce qui avait été implicitement exclu à Bretton Woods. Alors, les USA ne voulant pas perdre leurs réserves d’or, ont suspendu la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 et supprimé les systèmes de taux d’échanges fixes, en adoptant, en mars 1973, un régime de taux de change flottants vanté par l’Ecole de Chicago de Friedman. Cette décision a marqué la fin réelle des Accords de Bretton Woods. Et le 8 janvier 1976, les Accords de la Jamaïque ont annoncé l’abandon définitif du rôle étalon international d’or, si bien que le cours de l’or n’est plus fixé par les Etats, mais par l’offre et la demande. De ce fait le système monétaire international n’existait plus ! La spéculation de fonds spéculatifs pouvait aller bon train avec la mise en place de produits dérivés complexes complètement déconnectés de l’économie réelle. L’or est devenu la valeur-refuge des spéculateurs en cas de forte baisse de la bourse. Et l’once d’or valait, le 6 septembre 2011, 1.921,15 $, un record absolu depuis 1790[24], avec une progression quasi-exponentielle en 10 ans ! (Fig. 17).

 

Fig. 17. Fluctuations du cours de l’or depuis 1792. Le cours de l’or est resté très stable de 1790 à 1976, date des accords de la Jamaïque où le cours de l’or est désormais fixé par l’offre et la demande. C’est-à-dire que l’or sert de valeur-refuge lorsque la bourse décline. Les krachs boursiers sont si nombreux depuis 2000 que la valeur de l’or n’a pas suivi les rebonds boursiers et n’a pratiquement plus baissé significativement (d’après le site France-Inflation. Com[25]).

 

Le krach des sub-primes dont la crise actuelle est le prolongement, n’a pas fini d’agiter les économies mondiales. Elle aurait dû servir de piqûre de rappel pour remettre sur pied une organisation qui ne replonge pas dans le rouge. La crise aurait dû engager les gouvernements, les entreprises et les banques à se re-réguler. Mais cela n’a pas été le cas et les banques responsables de cette crise ont été renflouées et ont repris de plus belles leurs pratiques scandaleuses de rémunérations et de bonus qui avaient conduit au krach, comme nous l’avons déjà évoqué au chapitre précédent. Cessons là cet inventaire stupéfiant mais sommaire, puisque la plupart des contrats sont secrets.

 

Que retenir de ce chapitre ? En premier que les krachs boursiers sont presque toujours le résultat de bulles financières inconsidérées. On observe aussi au cours du temps un changement d’échelle des krachs. Au départ, ils ne concernaient que des pays particuliers comme la Hollande pour la Tulipomania, ou l’Angleterre pour les Compagnies des mers du Sud. Mais au gré des échanges économiques qui se développaient à l’échelle spatiale, ils ont progressivement pris de l’ampleur, sur des échelles toujours plus grandes, jusqu’à gagner depuis 1929 l’échelle occidentale, puis mondiale avec la mondialisation des années 1970.

Il faut surtout se rendre compte que les krachs boursiers n’ont en général pas servi de leçon aux responsables et que la communauté politique n’en a pas tiré les enseignements nécessaires. La seule exception est celle de 1929 qui, associée à la guerre de 1940, a abouti d’une part au Glass-Steagall Act séparant les banques de dépôts des banques d’investissement et d’autre part aux Accords de Bretton Woods qui ont apporté à l’économie mondiale les fameuses « Trente glorieuses » de 1945 à 1975. La dérégulation du fonctionnement des banques par l’abrogation du Glasse-Steagall Act en 1999 a permis aux banques de mélanger leurs fonctions dépôts et investissements, ce qui a abouti aux multiples krachs des années 2000.

On peut se demander comment l’évolution financière et économique si complexe par les multiples facteurs qui la caractérisent, avec ses bulles et ses krachs successifs, pourrait s’intégrer dans le cadre de l’évolution de phénomènes critiques discutés auparavant ? De deux façons, d’une part par le changement d’échelle spatiale de l’économie devenue la mondialisation et d’autre part parl’accélération des crises boursières de plus en plus rapprochées. Que penser du temps critique évoqué pour l’économie et la démographie ? Il n’est, bien entendu, pas question d’en préciser une date précise qui corresponde à l’évolution maximale d’un système, à sa limite… Il ne s’agit pas de prédictions à la Nostradamus, ni de considérations millénaristes, mais de l’évolution naturelle de phénomènes critiques probabilistes. L’économie et la finance n’étaient pas reconnues pour appartenir à ce type de phénomènes, pas plus d’ailleurs que la démographie ou les tremblements de terre. Les travaux des spécialistes des Ecoles de Sornette et de Nottale l’ont mis en évidence de façon convaincante pour ceux qui, même non spécialistes, examinent avec le recul objectif nécessaire l’évolution des systèmes à grande échelle spatiale (mondialisation) et temporelle (depuis le développement industriel de l’Europe). Mais il faut savoir que cette conception n’est pas partagée par tous les spécialistes pour qui, la contingence du phénomène empêche toute possibilité de prévision. L’avenir dira qui avait raison !

La finance et l’économie peuvent-elles nous mener dans le mur ? Les spécialistes en économie ont analysé la situation actuelle avec un esprit critique objectif et constructif. On sait désormais très bien ce qu’il faut faire pour remédier aux défauts du système. Un large consensus s’est dégagé chez les économistes, exprimé dans les divers livres que j’ai cités. Les différences portent surtout sur les moyens de les mettre en œuvre. Les hommes politiques voudront-ils, sauront-ils reprendre le pouvoir sur les financiers et les entreprises qui défendront leur système supercapitaliste ‘bec et ongles’avec les moyens considérables à leur disposition ?

Dans le dernier chapitre, nous allons réfléchir sur le bilan des deux grands défis qui sont devenus des problèmes très graves de notre société et les solutions qui pourraient être appliquées pour les résoudre



[1] Sornette, D., A. Johansen, A. & J.P. Bouchaud, J.P. 1996. Stock market kraches, precursors and replicas. J. Phys. I France, 6: 167-175.

Sornette, D. 2002. Why Stock markets crach ? Critical Events in Complex Finacial Systems. Princeton University Press.

[2] Dash, M. 2000. La Tulipomania : l’histoire d’une fleur qui valait plus cher qu’un Rembrandt. Paris, Lattès, J.-C.

[3] Le salaire moyen annuel de l’époque était de 150 florins.

[4] Thompson, E.A. 2007. The Tulipomania, Fact or artifact ? Public Choice, 130(1-2) : 99-114.

[5] Marx, K. 1867. Le capital. Critique de l’économie politique. Hambourg, Von Otto Meissner (traduction française de 1872, Paris, Lachâtre, M.)

[6] créée en 1792.

[7] Broder, A. 1993. L’économie française au XIXe siècle. Paris, Ophrys, Synthèse & Histoire.

[8] Bouvier, J. 1960. Le Krach de l’Union générale (1878-1885). Paris, Presses Universitaires de France.

 Verdès-Leroux, J. 1969. Scandale financier et antisémitisme catholique. Le Krach de l’Union Générale. Paris, Le Centurion. ?

[9] Zola, E. 1885. Germinal. Paris, Charpentier et Cie.

[10] Zola, E. 1891. L’argent, Paris, Charpentier et Cie.

[11] Klein, N. 2008. La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Paris, Léméac/Actes Sud.

[12] des sociétés de service dans le domaine d’Internet.

[13] Stiglitz, J.E. 2010. Le triomphe de la cupidité. Paris, Les liens qui Libèrent.

[14] Le Figaro.fr. Economie du 17/11/2011.

[15] Rappelons que le Produit Intérieur Brutmesure la production économique annuelle.

[16] Les critères, appelés « critères de Copenhague » définis en décembre 1993 lors du Conseil européen de Copenhague,impliquent qu’un pays candidat doit présenter : des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, ainsi que le respect des minorités et leur protection ; une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union et la capacité d'assumer les obligations découlant de la qualité d’État membre, notamment le respect des objectifs politiques, économiques et monétaires.

[17] Site Populaires.fr, 19/09/2011.

[18] Loi n°73-7 du 3/01/1973 sur la Banque de France, ou loi Pompidou-Giscard.-Mesmer Cette loi abrogée par la loi n°93-980 du 4 août 1993, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, lui interdit d’accorder des crédits au Trésor Public, ainsi que l’acquisition de titres de leur dette. Signalons que depuis la création de la Banque Centrale Européenne en 1998, la Banque de France dont le rôle est la régulation monétaire et la coopération financière internationale avec le FMI, est passée de la tutelle du Premier Ministre, à celle de la BCE, chargée de diriger la politique monétaire de la zone euro. Mais elle peut prêter à d’autres banques en difficulté. La banque de France indépendante fait partie du Système Européen de banques centrales crée par le Traité de Maastricht pour assurer la stabilité des prix. Elle ne peut en aucun cas recevoir d’instructions du gouvernement.

[19] Les Echos, 10/11/2011

[20] Selon le rapport de l’INSEE, la dette publique de la France à la fin du 1er trimestre 2011 était de 1646,1 milliards d’euros, soit 84,5% du PIB, alors qu’elle ne représentait que 663,5 milliards d’euros à la fin de 1995, et avait atteint 1211,6 milliards d’euros fin 2007 (64,2% du PIB).

[21] Il s’agit effectivement d’une stratégie qui découle de la philosophie chinoise traditionnelle ; ce que François Jullien[21] appelle fort justement « les transformations silencieuses ». De quoi s’agit-il ? Jullien nous cite quelques exemples de « transformations silencieuses » comme le passage de la neige à l’eau, le réchauffement climatique, le passage de la vie à la mort, de l’amour à la haine, de l’essor au déclin… La pensée chinoise, le ‘tao’, la ‘voie’ propose deux termes pour exprimer la transformation silencieuse : ‘modification’ et ‘continuation’. « La modification 'bifurque' et la 'continuation' poursuit, l'une 'innove' et l'autre 'hérite' (p. 31)». Jullien se reporte au cycle des saisons : « La ‘modification’intervient de l’hiver au printemps, ou de l’été à l’automne, quand le froid s’inverse et tend vers le chaud, ou le chaud vers le froid ; la ‘continuation‘, quant à elle se manifeste du printemps à l’été, ou de l’automne à l’hiver quand le chaud devient plus chaud ou le froid devient plus froid ».  Pour les Chinois ce qui change se fait entre des termes contraires, « le ‘yin’ et le ‘yang’, opposés et complémentaires et formant polarité ». Autrement dit « chaque temps prépare son opposé ». Dans le livre intitulé 'Classique du Changement' on affirme « qu'il y a déjà du yin dans le yang et du yang dans le yin ». Ce qui caractérise cette philosophie, c’est que la modification entraîne à long terme la continuation.

[22] Le Monde, 08/08/2011.

[23] AFP/ Whashington, 2010.

[24] Une once d'or (troy ounce) pèse 31,103 grammes.

[25] http://france-inflation.com/cours_de_l_or_historique_et_actuel.php

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